Mahé – 23.05.2016

Ce dimanche, jour où tout a commencé, nous avons mis un peu par hasard un peu par jeu les pieds dans l’eau gelée d’une rivière, cherchant à travailler notre souffle et à accueillir l’intensité en oubliant le mot « douleur ». Myriam a de la peine à rester dans l’eau plus de quelques secondes. Je lui tends les mains et lui offre mon soutien, qu’elle finit par accepter et ose me rejoindre. Les débuts sont rudes, elle peine mais nous sommes ensemble dans cette eau froide, ma présence et ma chaleur la calment. Y-a-t-il quelque chose à lâcher ? Canaliser l’intensité qui saisit son corps ? Au fur et à mesure des expirations, Myriam parvient à se détendre, à prendre confiance, à accueillir cette intensité dans mes bras, suspendue à mon cou. Je me sens fort, je me sens rocher, Myriam est formidable, et nous ressortons tous les deux de cette eau remplis d’une force nouvelle. Les pieds un peu gelés aussi, avouons-le. Mais sans trop le savoir ni le prévoir, cette expérience marquante – pur instant de complicité et confiance réciproque – nous amène directement à préparer le vrai travail qui s’apprêtait à venir.

 

Les contractions débutent dimanche soir à 23 heures. Nous sommes au lit après une journée plutôt casanière, la balade et les pieds nus dans la rivière, un ping-pong, une sieste prémonitoire l’après-midi et un long bain aux huiles essentielles. Je masse le périnée de Myriam et nous prenons, comme à notre habitude, quelques instants pour parler à notre enfant. Le rassurer, lui dire combien nous nous réjouissons de sa venue, qu’il peut venir tranquillement, que nous sommes prêts et – c’est vrai – impatients de le rencontrer.

 

Et soudain, Myriam les sent, elles arrivent. Discrètes, irrégulières d’abord, puis chaque dix minutes environ. Nous nous regardons avec le sourire, le bonheur aux lèvres. Notre intuition était bonne, bébé viendrait avec la lune, dans les heures à suivre. Il pleut des cordes dehors et nous sommes bien au chaud dans notre cocon, au lit dans la mezzanine sous le toit. Dans cette nuit magique, balayée par l’averse qui ruisselle sur les tuiles, j’allume des bougies, place quelques objets symboliques ici et là sur notre petit meuble, lance une musique douce de méditation. Nous créons une ambiance chaude et rassurante. Myriam accueille ses contractions avec le souffle et les ondulations, en laissant sortir parfois quelques sons vibratoires. Quelle douceur et quelle harmonie avec cette énergie de naissance. Je revis les cours de yoga à Évian et soutient ma femme dans ce début de travail.

 

Notre projet était d’accoucher en maison de naissance. Celle-ci se trouve à vingt bonnes minutes de la maison et vu la météo exécrable qu’il fait, mais aussi grâce à l’atmosphère que nous avons créée, nous décidons de poursuivre chez nous. Oui, au final, pourquoi ne pas mettre au monde notre enfant chez nous, à la maison ? C’est ce qui nous paraît le plus naturel et juste. La nuit se déroule sans sommeil, les heures défilent et les contractions s’enchaînent. Bercée par la pluie, dans mes bras ou en mouvement, Myriam est en sécurité, détendue, sereine et confiante. Nous sommes main dans la main et vivons cette nuit comme une parenthèse magique, silencieuse, en connexion totale avec la nature, notre enfant et nous-mêmes. Nos animaux dorment encore, tout autour de nous le monde est comme suspendu, figé, en observation, alors que nous sommes dans notre bulle hors du temps. Nous formons dès le début une équipe et resterons soudés tout le long, jusqu’à la naissance et aujourd’hui encore.

 

Je téléphone à Nadège, notre sage-femme, aux alentours de quatre heures du matin. Les contractions sont installées et plus rapprochées, entre cinq et sept minutes environ. Elle arrive peu après et examine Myriam. Le col est dilaté d’un doigt et bébé va bien. Le travail est lancé. Nous poursuivons toujours dans le souffle, les mouvements de l’infini et la visualisation. Myriam alterne les positions, entre le quatre-pattes et debout accrochée à moi. Parfois elle a besoin d’espace, sans que je ne la touche, et d’autres fois elle est dans mes bras et demande mon contact. Tout cela se fait naturellement, parfois dans le silence, parfois dans les rires, parfois les yeux fermés dans l’intensité. Si vous les hommes vous demandez quoi faire dans ces moments, eh bien soyez juste à l’écoute de votre compagne, soyez là, offrez-lui votre force, votre présence, vos encouragements, prenez votre place de rocher sans vous imposer. Dansez avec votre femme, soyez sa lumière dans la nuit.

 

Au matin, les contractions augmentent en intensité, parfois sans interruption entre chacune d’elles et Myriam prend un premier bain dans la matinée. L’eau agit rapidement et lui procure détente et soulagement. Que c’est beau de la voir ainsi, elle est magnifique, incroyable, je suis épaté par la manière dont elle « gère » tout cela. Toujours en union, nous ne voyons pas les heures passer.

 

Nadège contrôle le col vers 14 heures. Dilaté maintenant à six centimètres, elle m’annonce qu’à priori, bébé devrait arriver en tout début de soirée. Jusqu’ici le travail se déroule bien et progresse régulièrement. Les contractions s’intensifient encore et Myriam prend un second bain.

 

Dans l’après-midi, nous remarquons que les contractions s’espacent un peu et les contrôles suivants indiquent que le col stagne. Nadège palpe le bébé qui est remonté un peu. Rien d’inquiétant pour le moment, mais elle nous incite à bouger plus. Elle fait marcher Myriam accroupie en canard, nous sortons ensuite pour une nouvelle mini balade, puis alternons les positions dans le lit. A ce stade, nous gardons confiance, bien que la fatigue commence à se faire sentir. Nous subissons une baisse d’énergie et les premières questions arrivent. Que se passe-t-il ? Nous peinons à comprendre pourquoi le col stagne et ne se dilate plus, jusqu’ici tout a été si parfait.

 

A 17 heures, Myriam perd enfin les eaux et cela nous redonne un élan d’espoir. Le col est toujours « coincé » à 6 centimètres, les contractions sont plus espacées mais très intenses. Nous stimulons bébé avec des huiles essentielles sur le pubis et le sacrum et je masse légèrement ces zones pour encourager notre enfant à descendre. J’encourage Myriam, la caresse et l’embrasse entre ses contractions. Nadège est aux petits soins et fait le maximum. Soucieuse, elle nous prévient que si les choses n’évoluent pas bientôt, nous devrons nous déplacer à l’hôpital. Nous parlons encore à notre enfant, lui disons à quel point nous l’attendons et qu’il peut venir en toute sécurité nous rejoindre. Nous visualisons le tunnel de naissance baigné de lumière. Je joue également du didgeridoo avec l’intention d’ouverture sur le col, afin que bébé et Myriam entendent ces vibrations auxquelles ils ont été habitués durant la grossesse. Nous donnons tout ce que nous avons pour que bébé descende et que le col s’ouvre.

 

Pourtant rien n’y fait et l’échéance se rapproche. La réalité rattrape cruellement nos rêves et nos idéaux. Nadège nous dit qu’il va falloir se déplacer à l’hôpital afin de poursuivre l’accouchement. Il est 18h30, le col stagne à six centimètres depuis 14h et Myriam a de moins en moins de contractions. La fatigue s’installe, Nadège place un monitoring sur bébé et nous constatons avec soulagement qu’il va bien, son rythme cardiaque est normal et stable, même s’il semble endormi.

 

Nous vivons ce départ de la maison avec déchirement et émotion, car il marque l’évanouissement de notre projet initial, la fin de ces heures magiques vécues chez nous. Je n’ai aucun ne remord ni reproche, car tous les quatre, ensemble, Nadège, Myriam, bébé et moi avons fait tout ce que nous pouvions pour accueillir notre enfant ici.

 

Les heures qui suivent sont pénibles physiquement et émotionnellement. Le changement de décor est radical et j’ai beaucoup de peine à l’encaisser. J’ai encore dans la tête les images de notre mezzanine, des bougies, de la musique douce, du parfum d’huiles essentielles, de ma femme qui ondule, souffle et chante sur le lit, dans mes bras, sous l’œil discret et attentif de Nadège, de la pluie qui ruisselle sur le toit et du silence de cette nuit magique. Mes rêves de naissance physiologique se bousculent avec la réalité de cette chambre d’hôpital. Nous nous imaginions accueillir bébé ensemble à la maison et à la lueur des bougies, et nous nous retrouvons maintenant dans une salle d’hôpital au teint bleuâtre, Myriam avec des tuyaux dans le bras et une blouse médicale qui fait injure à ses formes magnifiques.

 

Myriam reçoit une injection de Syntocinon afin de booster les contractions et espérer dilater le col. Cette injection est suivie d’une péridurale qui s’est vite profilée comme une évidence au vu des circonstances. Myriam est fatiguée, ces longues heures de contractions « pour rien » l’ont épuisée physiquement et psychologiquement.

L’effet des produits est rapide et nous soulage tous. Très bien dosés, nous sommes surpris de constater que Myriam peut ressentir ses contractions sans souffrir et sans être « shootée ». Le personnel nous donne deux heures afin de laisser la chance à une progression de la dilation du col et une venue par voie basse. Nous pouvons rester seuls et nous retrouver dans un semblant de douceur, avec notre musique et notre harmonie. Pourtant, à 23 heures ce lundi soir, vingt-quatre heures après le début du travail, le verdict du médecin tombe : aucune progression, le col ne montre aucun signe de dilatation. Il faut maintenant que bébé sorte et la seule voie possible est celle à laquelle nous ne nous étions que peu préparés : la césarienne. Nous sommes ébranlés et pleurons cette issue, à l’opposé de ce que nous vivions et souhaitions encore quelques heures plus tôt.

 

Le personnel a été délicat et nous a laissé un moment seul, tous les trois, afin de vivre nos émotions. Difficile et rude, cette décision est malgré tout la bonne pour tout le monde. S’entêter nous aurait tous conduits dans le mur. La voie basse disparaît et se voit remplacée par une intervention chirurgicale et tout ce qu’elle implique. Myriam rêvait que j’accueille notre enfant dans mes mains lors de la délivrance et que je le dépose sur sa poitrine pour les premiers instants de rencontre. Moi-même savoir que l’on allait ouvrir le ventre de ma compagne sur une table d’opération me fait trembler les jambes.

 

A 23h30, nous sommes en salle d’opération. Blouses blanches, tuyaux et personnel masqué. La grosse baffe dans la figure. Myriam couchée sur cette table, tremblotante et anesthésiée, bien présente à moi néanmoins, je suis auprès d’elle, je lui caresse la joue, l’embrasse et nous sommes les yeux dans les yeux. De A à Z, connectés et ensemble, complices et unis. Nous nous rassurons et laissons libre court à nos émotions. Ici encore, le souffle nous aide à vivre cette expérience.

 

En tant qu’homme et compagnon, ce fut dur de la voir ainsi, immobilisée sur cette table, totalement passive de notre propre accouchement, dans les mains de médecins qui, je le sais, font tout cela pour notre bien commun. Ces images me brouillent encore les yeux. Mais je souhaite relever que malgré tout et avec le recul, cet épisode de l’hôpital était juste et beau également. Les sages-femmes, infirmières et médecins ont été tous doux, attentionnés et silencieux. Notre souhait était de pouvoir prendre dans les bras notre bébé (fille ou garçon ???) dès sa sortie et avant qu’il ne file chez le pédiatre. Ce qui a été respecté. Notre souhait était de garder la surprise de son sexe jusqu’au bout, et cela aussi a été respecté jusqu’à ce qu’ils nous le déposent vers nous.

 

A 23h51, le premier cri retenti, on nous apporte délicatement notre…. petit garçon !!

 

Mahé, ton nom qui sent bon le voyage, les épices, le soleil, la mer et la terre, notre fils. Bienvenue au monde.

 

Mahé est né plus de 24 heures après le début du travail, qui s’est déroulé pour la majeure partie chez nous à la maison. Autant ce que nous avons vécu à l’hôpital a été dur à accepter, autant cela a été juste à ce moment-là pour la santé de Myriam et Mahé. Nous avons vécu à la maternité des moments forts qui, bien que désagréables ou éloignés de notre idéal, nous ont rapprochés, renforcés et surtout permis de rencontrer enfin notre petit homme. A l’inverse, tout autant de ce que nous avons vécu à la maison a été magique. Un réel et puissant rite initiatique traversé ensemble. Jamais je n’oublierai cela. Nous sommes allés bien au-delà de notre projet initial, dans ce sens-là également. Décider de rester à domicile, faire confiance à ce que nous savons tous (et toutes !!) faire, a été la plus belle de toutes les expériences possibles. Un authentique cadeau.

 

Alors avec le recul, oui bien entendu une césarienne à l’hôpital n’était pas ce que nous voulions, bien entendu que nous aurions voulu terminer le travail à la maison et accueillir Mahé dans notre cocon. Mais le fait est que, dans notre cas, les choses se sont déroulées différemment et nous ne pouvons faire autrement que de l’accepter. De voir aussi et surtout les trésors cachés dans cette expérience.

 

Je suis un père et un homme comblé, fier, enrichi et reconnaissant envers la Vie de m’avoir offert ce cadeau-là. Messieurs, peut-être que vous vous posez, comme moi il y a quelques temps, la question de savoir quel peut bien être votre rôle durant l’accouchement ? En tant qu’homme, je peux faire quoi ? J’aimerais juste vous dire que les femmes ont besoin de nous, qu’il vous suffit d’être là, dans l’ouverture, dans votre douceur et votre force. Le reste viendra tout seul, mais osez prendre votre place de rocher. Impliquez-vous, soutenez-les, elles ont besoin de nous et nous avons besoin d’elles ! Je suis si heureux d’avoir accompagné Myriam durant sa grossesse et cette naissance.

 

A vous tous, spécialement à celles et ceux qui attendent leur bébé, je souhaite vous dire de rester confiantes en votre puissance. Le souffle, le son, la visualisation, le huit de l’infini, tout cela fonctionne, tout cela est réel. Myriam, Mahé et moi en sommes les témoins. Il n’y pas eu de hurlements, d’injures ni de violence, encore moins de boucherie. Notre accouchement a été intense, c’est certain, une épreuve majeure, mais jamais horrible. Un accouchement en douceur est possible. Vous savez tous comment faire. ÔÔÔôôôôôôômmmmmm… ;)